Emmanuel Levinas

Parlons Philo

La proposition que nous faisons d’étudier la place de l’étranger dans la philosophie d’Emmanuel Levinas vient du fait que celui-ci nous contraint à renverser notre manière traditionnelle de le concevoir. En effet, l’étranger est d’abord pensé comme un exilé et, en cela, nous l’envisageons sous le masque de la menace et de la peur. Il est celui qui vient déranger nos habitudes, bousculer ce que nous estimons nous appartenir, voire, nous en déposséder. L’étranger est l’autre dont nous devons nous méfier, nous préserver. Entre lui et nous, des murs sont à construire. C’est à la déconstruction d’une telle idée que vise toute la philosophie d’Emmanuel Levinas. En effet, Levinas nous montre que si on se laisse saisir par le visage de l’étranger, celui-ci prend à rebours notre prétention à croire en notre primauté. Sa faiblesse, sa vulnérabilité, sont comme autant d’appels à notre responsabilité, à notre être pour autrui. Or, comprendre cet appel ne se fait pas sans que soient profondément modifiés les concepts traditionnels par lesquels la philosophie pense le sujet : le propre, l’essentiel, le même, l’identité. Se comprend dès lors la place centrale qu’occupe l’étranger dans la pensée d’Emmanuel Levinas. Celui-ci n’est pas seulement le sans papier, celui qui ne parle pas ma langue ou qui n’est pas de mon pays. Il est essentiellement celui qui me traverse, qui vient trouer mes certitudes, déranger mon propre être pour me contraindre à être autrement. En ce sens, l’étranger n’est pas exclusivement celui qui se tient dans la distance. Il est aussi et surtout le proche, le familier, à jamais inatteignable, dont l’étrangeté m’assigne dans mon être. Avec Levinas, nous serons donc amenés à penser les différentes figures par lesquelles l’étranger se manifestent à nous. Nous pourrons alors justifier la relation éthique comme le fondement de toute ontologie. Penser l’étranger avec Emmanuel Levinas reviendra donc à comprendre en quoi l’altérité est constitutive de notre subjectivité, et par là même de notre difficile liberté.