Félix Caumont 20/10/2024 FR/EN
ㅤㅤㅤImaginez : vous vous promenez seul dans les larges rues de l’Ouest américain par un jour ensoleillé et étouffant de chaleur, comme la plupart le sont ici en été. Entre les traditionnelles maisons en bois blanc, se trouve ce qui semble être un modeste entrepôt accompagné sur son côté d’une simple porte grande ouverte. Aucun affichage ne vous indique de manière certaine si c’est bien l’adresse que vous cherchez. Préférant ne pas entrer sans être sûr, vous demandez à un habitant dans son jardin : « Excuse me sir, do you know where Ed Dwight studios are? » C’est bien là. Vous vous dirigez vers la porte, passez un piteux grillage rouillé, toquez, mais n’obtenez aucune réponse ; si ce n’est le bruit d’un vieux ventilateur solitaire remplaçant l’intense écho des cigales de l’air extérieur. Alors, vous franchissez timidement l’entrée.
L’ambiance qui vous accueille en premier est celle d’un bureau plutôt désordonné et à l’éclairage simple, où sont exhibés des unes de journaux des années 60 évoquant son nom, des magazines dans lesquels il avait apparemment fait les gros titres, des photos souvenirs avec les plus grandes figures, des étagères poussiéreuses remplies de petites sculptures, maquettes et trophées en son hommage ; et dans un coin sombre : une véritable combinaison spatiale, simplement dépliée, posée en vrac sur une table. « Hello? », bien que ne voulant pas pénétrer au-delà du seuil de cette porte au risque de paraître impoli, vous ne pouvez vous empêcher de toucher du regard ces reliques du passé.
Quand je suis entré dans ce bureau pour la première fois, quand j’ai rencontré et interviewé Ed Dwight lors d’une aventure m’ayant fait traverser la moitié du monde, j’ai eu du mal à réaliser…
Du mal à réaliser qu’un vieil homme comme lui : 91 ans, 1 m 60, le dos courbé et presque sourd, s’est autrefois retrouvé au milieu d’une des périodes les plus importantes de l’histoire. J’ai eu du mal à réaliser qu’il n’y a pas si longtemps, il était parmi les meilleurs pilotes au monde, cumulant plus de 9 000 heures de vol, dont certaines en jet. Qu’un homme comme lui s’est retrouvé dans la Maison-Blanche au côté de John Kennedy et Martin Luther King, que cette même personne recevait environ 1 500 lettres d’admirateurs chaque jour, qu’il était fût un temps l’un des meilleurs amis de Nelson Mandela ; qu’il a, à lui tout seul, façonné plus du quart de l’intégralité des mémoriaux dédiés à l’histoire afro-américaine en Amérique du Nord. Que cet homme aurait pu être le premier astronaute noir de l’histoire, foulant le sol lunaire au côté de Neil Armstrong. Et que cet homme a finalement rencontré le cosmos il y a quelques mois à peine.
Et pourtant, tout est vrai.
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« Tout ce qui m’est arrivé, est arrivé dans un but »
Edward J. Dwight Jr. est né en 1933 au Kansas, état du centre des États-Unis. Enfant, il aime peindre et envisage une carrière d’artiste, mais grandissant près d’un aéroport, un autre rêve le hante : celui de voler. Après un diplôme d’ingénieur, il s’engage dans l’Air Force en 1953 et devient pilote d’essai, un métier qui à cette époque coûte la vie à un aviateur chaque semaine.
En 1961, en plein mouvement des droits civiques, il est sélectionné par l’administration du président John Kennedy pour devenir le premier candidat astronaute afro-américain, mais fait face à un racisme permanent pendant son entraînement : « Les choses qu’ils ont faites pour se débarrasser de moi étaient extrêmement nuisibles. Il y a beaucoup de choses qu’ils m’ont faites, à moi et à ma famille, qui n’étaient pas acceptables. » Lorsque Kennedy est assassiné à Dallas le 22 novembre 1963, tous ses soutiens disparaissent. Il se voit alors forcé de quitter l’Air Force trois ans plus tard sans jamais avoir été sélectionné par la NASA, malgré sa formation d’astronaute finie et réussie ; classé dans les meilleurs.
L’histoire aurait pu s’arrêter là.
Mais force d’une persévérance et d’une détermination sans faille, il retourne à ses racines d’artiste et décide de consacrer le reste de sa vie à la construction de mémoriaux : « On m’a offert l’opportunité de faire des sculptures pour raconter une autre histoire des Afro-Américains noirs en Amérique. » Au total, c’est plus de 20 000 œuvres d’art, et 132 monuments à travers toute l’Amérique du Nord qui furent façonnés de ses mains durant les 50 dernières années. Harriet Tubman, Rosa Parks, Miles Davis… Autant de figures qu’il continue d’honorer encore aujourd’hui à travers ses sculptures.
Au fil des ans, son passé de presque-astronaute commence néanmoins à tomber petit à petit dans l’oubli, malgré la publication de son autobiographie en 2009 : Soaring on the Wings of a Dream. Dix ans plus tard, à l’occasion du 50ᵉ anniversaire du premier pas de l’Homme sur la Lune, un article du New York Times met la lumière sur son histoire et apporte des preuves supplémentaires de son récit ; mais son véritable retour sur scène se fait en mai 2024 quand il se voit proposer l’opportunité d’enfin voler dans l’espace à bord d’un vol touristique d’une quinzaine de minutes : la boucle est bouclée.
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« Toute l’histoire est qu’ils n’avaient pas compris qui j’étais et ce que j’étais »
Pour sa première interview en personne à un média français, découvrez dans cet entretien exclusif d’une heure vingt au total, le récit effacé d’Ed Dwight. Celui d’un personnage pris au piège de l’histoire. Celui d’une figure oubliée de la conquête spatiale et de la lutte des droits des personnes noires : dans l’ombre de la mémoire américaine. Agrémentée de documents inédits, résultat d’heures de recherches dans des dizaines d’archives et de mois de travail, écoutez gratuitement l’interview francophone la plus complète et détaillée jamais faite de sa vie, et découvrez un témoignage direct comportant de nouvelles révélations sur son parcours à travers l’aviation et l’art. Certaines à propos même des « héros » qui marcheront ensuite sur la Lune. La NASA, elle, n’a jamais donné d’explication officielle quant à sa non-sélection, et n’a jamais publié les critères finaux de recrutement de l’époque.
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« Je faisais des choses qui étaient notables et dignes d’intérêt, tout ce que je faisais, chaque discours que je donnais avait un intérêt médiatique, chaque mémorial que je terminais avait un intérêt médiatique, mais ça n’apparaissait pas dans les médias. »
Il partage toujours son expérience depuis son atelier, et vit aujourd’hui avec sa femme à Denver, au Colorado, pays des Majestés Montagnes pourpres.
Ed Dwight : une histoire américaine
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(FR traduit) Partie 1 : introduction, la vie de pilote d’essai, premier candidat astronaute noir, et racisme.
(FR traduit) Partie 2 : artiste sculpteur, réflexions sur l’histoire afro-américaine, vol spatial, et héritage.
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(EN original) Part 1: introduction, life as a test pilot, first black astronaut candidate, and racism.
(EN original) Part 2: sculptor artist, thoughts on African-American history, flight to space, and legacy.
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Remerciements / Acknowledgments :
Ed Dwight Studios, Wings Over the Rockies Air & Space Museum, Barbara Dwight, Allan Gramet, Brenda J. Peart, Angèle Bouillaguet, Thomas Derais (FR), Jean-Marc Simon (FR), Danaé Bauchet (FR), Clément Planson (FR), Amir Belkouche (FR), Lucas Carrilho Gomes (FR), Erwann Cochery (FR), Victor Meneboode (FR), Arthur Dekyndt (FR), Alexia Rodrigues, Viviane Berreur.
L’indéfectible soutien familial, et amical.
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